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Le processus d'appropriation symbolique d'une ancienne capitale coloniale patrimonialisée - Cas de la "Ville Historique de Grand-Bassam" en Côte d'Ivoire

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Academic year: 2020

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Mémoire de Recherche en Etudes Africaines

Research Master Thesis in African Studies

African Studies Centre

Leiden University

LE PROCESSUS D’APPROPRIATION

SYMBOLIQUE D’UNE ANCIENNE CAPITALE

COLONIALE PATRIMONIALISEE

C

AS DE LA

« V

ILLE HISTORIQUE DE

G

RAND

-B

ASSAM

»

EN

C

OTE D

’I

VOIRE

Nom : Affoh GUENNEGUEZ

(2)

TABLE DES MATIERES

TABLE DES MATIERES ... 2

TABLE DES ILLUSTRATIONS ... 5

LISTE DES SIGLES ET DES ABREVIATIONS ... 6

REMERCIEMENTS ... 7

INTRODUCTION ... 9

CHAPITRE 1. CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIE ... 13

1.1 CADRE THEORIQUE ... 13

1.1.1 L’APPROPRIATION DE L’ESPACE ... 13

1.1.2 L’APPROPRIATION SYMBOLIQUE DE L’ESPACE ... 14

1.1.3 LE MARQUAGE DE L’ESPACE ... 16

1.1.4 LA PRODUCTION D’UN MARQUAGE ... 16

1.1.5 LES DIFFERENTES NATURES DU MARQUAGE ... 17

1.1.6 LE MARQUAGE ET L’IDENTITE ... 18

1.1.7 LA NOTION DE PATRIMOINE ... 19

1.1.8 LE PROCESSUS DE PATRIMONIALISATION ... 19

1.1.9 LA MISE EN PATRIMOINE D’ESPACES HERITES DE LA COLONISATION ... 21

1.1.10 LES PEUPLES DE GRAND-BASSAM ... 23

1.2 LA QUESTION DE RECHERCHE ... 27

1.3 PRESENTATION DU TERRAIN ... 27

1.4 BREVE HISTOIRE DE GRAND-BASSAM ... 32

1.5 METHODOLOGIE DU TERRAIN ... 34

1.5.1 LA PERSONNE-RESSOURCE ... 34

1.5.2 ENTRETIENS D’EXPERTS ET FOCUS GROUP ... 34

1.5.3 ENTRETIENS SEMI-DIRECTIF AUPRES DES HABITANTS ... 35

1.5.4 OBSERVATIONS DIRECTES ET INDIRECTES SUR LE TERRAIN ... 37

(3)

CHAPITRE 2. LES PREALABLES A L’APPROPRIATION SYMBOLIQUE D’UNE

ANCIENNE VILLE COLONIALE ... 39

2.1 LA DISTANCIATION ... 40

2.1.1 UN PROCESSUS AU NIVEAU NATIONAL ... 40

2.1.2 UNE REAFFECTATION D’USAGE ... 44

2.1.3 UN PROCESSUS AU NIVEAU LOCAL ... 47

2.1.4 UN EXEMPLE D’EXPERIENCES INDIVIDUELLES DE DISTANCIATION ... 49

2.2 L’HABITER ... 50

2.2.1 PRESENTATION DES COMPOSANTES DE LA VILLE HISTORIQUE DE GRAND-BASSAM ... 50

2.2.2 L'« HABITER » ... 52

2.2.3 L'« ESPACE VECU » ... 52

2.2.4 HABITER LE PATRIMOINE ... 53

2.3 L’ATTACHEMENT AFFECTIF ... 55

2.3.1 UNE APPROPRIATION AFFECTIVE ENVISAGEE COMME COLLECTIVE ... 55

2.3.2 UNE MYTHIFICATION DU TERRITOIRE PAR SES HABITANTS ... 59

CHAPITRE 3. L’APPROPRIATION SYMBOLIQUE DU PATRIMOINE MATERIEL : LE MARQUAGE-TRACE ... 62

3.1 UN TERRITOIRE PRATIQUE PAR DES GROUPES DIFFERENTS ... 62

3.1.1 DEUX GRANDS GROUPES SUR LE TERRITOIRE ... 63

3.1.2 UNE PRATIQUE DU TERRITOIRE DIFFERENTE ... 65

3.2 LE MARQUAGE-TRACE PRODUIT PAR LES ALLOGENES ... 70

3.2.1 UN ATTACHEMENT AFFECTIF IMPORTANT PAR LA POSSESSION D’UN BATIMENT ... 72

3.2.2 UN MARQUAGE DE L’ESPACE QUI S’EXPRIME A TRAVERS DES PROJETS ... 73

3.3 LE MARQUAGE-TRACE PRODUIT PAR LES AUTOCHTONES ... 81

3.3.1 DEUX SOUS-GROUPES AU NIVEAU D’APPROPRIATION DIFFERENT ... 81

(4)

CHAPITRE 4. L’APPROPRIATION SYMBOLIQUE DU PATRIMOINE MATERIEL :

LE MARQUAGE-PRESENCE À TRAVERS L’ABISSA ... 89

4.1 « ABISSA QUOI! »:SIGNIFICATION ACTUELLE D’UNE CELEBRATION ANCIENNE ... 89

4.1.1 L’ORIGINE ET LA CELEBRATION DE L'ABISSA ... 90

4.1.2 LA SIGNIFICATION DE L’ABISSA POUR LES N’ZIMA ... 94

4.1.3 UNE CELEBRATION SUJETTE A DES TRANSFORMATIONS ... 98

4.2 LE MARQUAGE « PRESENCE » DU PATRIMOINE MATERIEL DU QUARTIER FRANCE ... 100

4.2.1 L’IMPACT LOCAL : L’IMPACT MATERIEL... 101

4.2.2 L’IMPACT EXTERIEUR : L’IMPACT SYMBOLIQUE... 105

4.3 LA « PRATIQUE » DE L’ABISSA... 113

4.3.1 LES AUTOCHTONES DU VILLAGE N’ZIMA ... 113

4.3.2 LES ALLOGENES ET N'ZIMA DERACINES DU QUARTIER FRANCE... 116

4.3.3 LES ALLOGENES BASSAMOIS ET EXTRA-BASSAMOIS ... 118

CHAPITRE 5. LE ROLE DE LA PATRIMONIALISATION DANS LE PROCESSUS D’APPROPRIATION SYMBOLIQUE DE L’ESPACE ... 121

5.1 LE ROLE DE LA PATRIMONIALISATION DANS LE PROCESSUS D’APPROPRIATION SYMBOLIQUE DU QUARTIER FRANCE ... 122

5.1.1 LES ALLOGENES DU QUARTIER FRANCE ... 122

5.1.2 LES AUTOCHTONES DU VILLAGE N’ZIMA ... 123

5.2 LA PATRIMONIALISATION DANS LA « LUTTE SYMBOLIQUE » POUR UN TERRITOIRE ... 126

5.2.1 L’AFFIRMATION DE LA PRESENCE D’UN PEUPLE ... 126

5.2.2 LES IMPACTS DE CETTE NOUVELLE AFFIRMATION ... 127

CONCLUSION GENERALE ... 131

BIBLIOGRAPHIE ... 134

(5)

TABLE DES ILLUSTRATIONS

CARTES

Carte 1 : Situation de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire ... 28

Carte 2 : Composition de la Commune de Grand-Bassam ... 28

Carte 3 : Délimitation de la ville historique et du phare. ... 29

Carte 4 : Les quatre zones de la ville historique de Grand-Bassam ... 30

PHOTOGRAPHIES Photographie 1 : Vue aérienne du Quartier France ... 31

Photographie 2 : Vue aérienne du village N’zima ... 31

Photographie 3 : Pancarte du pont de la Victoire ... 42

Photographie 4 : Monument dédié à la « Marche des femmes sur Grand-Bassam » ... 43

Photographie 5 : L’ancien Palais des Gouverneurs devenu le Musée National du Costume. ... 45

Photographie 6 : L’ancien Hôtel des Postes et Douanes devenu le siège de la Maison du Patrimoine Culturel ... 46

Photographie 7 : Maison Varlet, bien remarquable de la ville historique de Grand-Bassam ... 48

Photographie 8 : Maison Nouama située dans la zone commerciale ... 48

Photographie 9 : Zone lotie du village ... 51

Photographie 10 : Zone non lotie du village ... 51

Photographie 11 : Bâtiment Ganamet ... 56

Photographie 12 : Espace public devant la bibliothèque centrale et le Centre de culture Jean-Baptiste Mockey. ... 74

Photographie 13 : Exposition « pop up » de « Vous êtes ici » de l’artiste Virginia Ryan... 78

Photographie 14 : Présence saillante des N’zima lors d'un évènement relatif au patrimoine... 82

Photographie 15 : Maquis installé près de bâtiments en ruine dans la zone commerciale ... 85

Photographie 16 : Maquis installé près de bâtiments en ruine dans la zone commerciale ... 85

Photographie 17 : Intérieur du bâtiment Ganamet transformé en lieu d’exposition d’artisanat ... 86

Photographie 18 : Arrivée de l’Edongbôlé à la cour royale ... 91

Photographie 19 : Première danse de femmes vêtues d’anciens pagnes « Abissa » ... 92

Photographie 20 : Chansonniers du groupe Ablamon du village N’zima « Quartier France » ... 93

Photographie 21 : Hommes déguisés en femmes durant l'Abissa ... 94

Photographie 22 : Place de l'Abissa ... 97

Photographie 23 : Nouvelle cour royale construite en 2004 ... 100

Photographie 24 : Ambiance sur la Place de l'Abissa lors d'une démonstration de danse ... 101

Photographie 25 : Vendeurs ambulants de glace durant l'Abissa ... 102

Photographie 26 : Bâtiment Ganamet transformé en maquis pendant la fête de l’Abissa ... 104

Photographie 27 : Bâtiment Ganamet transformé en boite de nuit pendant la fête de l’Abissa ... 105

Photographie 28 : Panneau publicitaire annonçant l’Abissa 2014 ... 107

Photographie 29 : Vente des t-shirt Abissa ... 110

Photographie 30 : Pagnes Abissa 2014 et éditions précédentes ... 111

Photographie 31 : Tribune officielle le jour de la « sortie du roi » ... 111

TABLEAUX Tableau 1 : Profil des allogènes du Quatier France ... 64

(6)

LISTE DES SIGLES ET DES ABREVIATIONS

AOF Afrique-Occidentale Française

Franc CFA Franc des Communautés Financières d'Afrique

PDCI Parti Démocratique de Côte d’Ivoire

RDA Rassemblement Démocratique Africain

(7)

REMERCIEMENTS

Mes premiers remerciements vont à mes deux directrices de recherche, Daniela Merolla et Mayke Kaag, qui ont acceptées de diriger ce projet. Merci pour leurs conseils et leur encadrement durant la recherche sur le terrain et la rédaction de ce mémoire. Je souhaite également remercier Han van Dijk pour ses remarques qui ont enrichies ce travail et dire ma gratitude à Azeb Amha et Harry Wels pour leur soutien durant les deux années du programme.

Je tiens également à adresser mes remerciements à toutes les personnes rencontrées qui m’ont apportée leur aide précieuse. Je pense en premier lieu à Daniel Kouao sans qui ce travail n’aurait pas été le même et que je remercie pour sa confiance, son implication et son soutien quotidien.

Merci également à toutes les personnes qui ont acceptées de me recevoir et m’ont accordée de leur temps pour répondre à mes questions. Je remercie en particulier Mr Tanoé, Mr Abrima, Mr Agbroffi, Mr Kouassi Kouakou, Mr Brou, Mr Nohonian et Simon Bovlè qui m’ont marquée par leur simplicité. Merci à Monsieur et Madame Sauhi chez qui j’ai vécu pendant plusieurs mois.

Tout particulièrement, je tiens à exprimer ma reconnaissance à mes proches. D’abord à mon père Joël Guenneguez. Les effusions sont peu fréquentes chez nous alors je dirai tout simplement Merci pour tout. Je te dois tout.

À ma sœur Assamah dont les appels et messages ont allégé cette période de rédaction. À Mathieu qui m’a soutenue au quotidien et qui m’a relue avec beaucoup d’attention. Je remercie également celles qui, malgré la distance, m'ont encouragée, m'ont fait rire et m’ont écoutée tous les jours : Akpedze, Marion, Martine.

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(9)

INTRODUCTION

En novembre 1972, la conférence générale de l’UNESCO adopte la « Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel » qui définit les sites naturels et culturels pouvant être considérés pour une inscription sur sa liste du patrimoine mondial. Elle souligne également le devoir des Etats membres de recenser de tels sites sur leur territoire et leur rôle dans la protection et la préservation de ces derniers. Dès lors, les Etats se sont s’intéressés aux sites de leur territoire pouvant faire l’objet d’une telle inscription et ont commencé à prendre des mesures afin de pouvoir initier ce processus.

En 1975 est créé le Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO, l’instance chargée d’examiner les dossiers de proposition d’inscription de sites présentés par les pays. D’abord un phénomène principalement occidental, l’intérêt pour la question du patrimoine s’est ensuite élargi à l’ensemble de la planète où toutes les régions du monde tentent de faire reconnaitre leurs sites exceptionnels, naturels et culturels. Ainsi, l’intérêt pour l’objet patrimonial connait une croissance importante en Afrique en raison notamment des stratégies récentes de l’UNESCO.

Dès 2001, le Centre du patrimoine mondial commence à s’intéresser en particulier aux régions où l’intérêt et la question de la préservation du patrimoine moderne font l’objet de réticences (Eloundou 2005). Aussi l’UNESCO introduit la question du patrimoine auprès des collectivités territoriales africaines dès 2003, lors du sommet « Africités III » qui réunit les autorités locales africaines afin de débattre et d’évaluer la mise en œuvre des politiques de décentralisation sur le continent. Une session spéciale intitulée « Villes africaines et patrimoines » est organisée pour l’occasion avec la présence d’universités et d’organisations de coopération internationale. Elle a pour but d’ouvrir le débat et de sensibiliser sur l’impact des patrimonialisations sur le développement local en raison de ses apports aux niveaux économique, social et culturel. Les discussions ont également porté sur les outils économiques et financiers dont pourraient bénéficier les villes suite à une mise en patrimoine de leurs sites. Cette session spéciale a constitué le point de départ d’une série d’initiatives visant le continent africain.

C’est dans ce contexte qu’en 2004 la première réunion régionale sur la conservation du patrimoine moderne de l’Afrique est organisée à Asmara, en Éthiopie. Elle a pour but de débattre sur la perception du patrimoine moderne sur le continent et de permettre aux professionnels présents de présenter des études sur celui de leur pays respectif (Eloundou 2005). Les actions de l’UNESCO, dans un contexte de développement important du tourisme international, encouragent notamment les pays africains à considérer une approche patrimoniale comme un moyen de se distinguer afin d’attirer plus de touristes (Sinou 2005: 15).

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enjeux identitaires du patrimoine culturel, et notamment de l’espace bâti, confirme, par ses critères de classement, la prééminence des grandes civilisations dotées d’un riche patrimoine matériel, au firmament desquelles domine, de loin, le monde occidental [Sinou, 2001] » (2005 :16). Suite à ces critiques, l’organisation internationale a tenté d’encourager de nouvelles approches patrimoniales.

En 2003, la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel est adoptée. C’est une approche qui a « été consolidée et théorisée pour donner plus de place à des réalités sociales et culturelles longtemps restées en dehors du débat sur le patrimoine. L’enjeu était à la fois d’attirer l’attention sur la nécessité de préserver la diversité culturelle face à l’uniformisation des modèles, et d’ancrer la notion de patrimoine au sein des communautés » (AIMF, UE 2013: 34). Désormais, au-delà du patrimoine matériel, à savoir, l’architecture, les objets, les paysages et les sites archéologiques, le Centre s’intéresse également au patrimoine immatériel tel que défini dans la Convention de 2003. Il s’agit des « pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel » (AIMF, UE 2013: 35). L’UNESCO présente cette réinterprétation de l’idée de patrimoine comme particulièrement adaptée aux réalités africaines.

L’inscription de la « ville historique Grand-Bassam » sur la liste du Patrimoine mondial date du 29 Juin 2012. Le processus de son inscription a été amorcé lors du sommet « Africité III » de 2003 durant lequel le maire de la Commune de Grand-Bassam Jean-Michel Moulod a présenté le Quartier France, la première capitale coloniale de Côte d’Ivoire, qualifié de « patrimoine en détresse ». C’est suite à cette présentation que le conseil municipal de la ville de Grand-Bassam et l’État de Côte d’Ivoire ont travaillé à l’élaboration d’un dossier d’inscription du Quartier France de Grand-Bassam au patrimoine de l’humanité ; processus qui a duré près de dix ans.

L’inscription effective est perçue comme une véritable victoire de la part de l’Etat ivoirien, de la commune ainsi que par le peuple N’zima. En effet, dans les premiers dossiers déposés par les élus, seul l'espace du Quartier France était considéré pour faire l'objet d'une patrimonialisation. En raison des nouvelles orientations et recommandations du Centre du Patrimoine, le village N’zima a ensuite été inclus pour permettre l’inscription du Quartier France. Ainsi, le Quartier France et le village N’zima font aujourd’hui partie de ce qui est appelée la « Ville historique de Grand-Bassam ». Cet espace a été inscrit pour sa valeur universelle exceptionnelle, reconnue par les critères (iii) et (iv) parmi les dix critères établis par le Centre du patrimoine mondial.

Le critère (iii) concerne les biens qui permettent d’apporter un témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une tradition culturelle ou une civilisation vivante ou disparue1. Il s’applique au cas de Grand-Bassam car elle « témoigne par son organisation urbaine bien préservée d’une importante tradition culturelle liée à son rôle de capitale coloniale, de centre

1

(11)

administratif à l’échelle de l’ancienne AOF (Afrique-Occidentale Française) et de pôle commercial régional. Des années 1880 aux années 1950, la ville rassembla et confronta différentes populations africaines, européennes et moyen-orientales, dans une cohabitation simultanément harmonieuse et difficile »2. Le critère (iv) concerne les biens qui permettent d’offrir un exemple remarquable d’un type de construction ou d’ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une ou des périodes significative(s) de l’histoire humaine3. Il s’applique au cas de Grand-Bassam car elle « offre un exemple éminent d’urbanisme colonial rationnel par ses quartiers spécialisés au sein d’un réseau urbain d’ensemble où la végétation tient une place importante. L’architecture coloniale est caractérisée par un style sobre et fonctionnel, utilisant les principes hygiénistes appliqués à une situation tropicale. L’organisation de la maison vernaculaire au sein du village N’zima lui fait écho, exprimant la permanence des valeurs autochtones »4.

Ce mémoire s’intéresse à la question du processus d’appropriation symbolique du Quartier France de la « Ville historique de Grand-Bassam ». Ce territoire comprend donc l’ancienne cité coloniale et un village habité par les N’zima, un peuple que l’on retrouve le long des côtes de la Côte d’Ivoire et du Ghana. Il abrite donc deux types de patrimoine. Le premier est le patrimoine matériel qui est représenté par l’importance du bâti colonial, par l’organisation urbaine qui est demeurée la même depuis sa fondation et par le village N’zima. Le second est le patrimoine immatériel qui est représenté par la présence du royaume N’zima, son espace social et la célébration de l’Abissa, considérée comme une attraction culturelle majeure en Côte d’Ivoire5.

Il s’agit donc dans ce travail de s’interroger sur la perception du bâti colonial par l’ensemble des habitants du territoire de la ville historique, c’est-à-dire les habitants du Quartier France et ceux du village N’zima, et de savoir dans quelles mesures ils se sont symboliquement appropriés cet espace. Le travail s’intéresse donc uniquement à la question de l’appropriation symbolique du patrimoine matériel du Quartier France qui sera appréhendée à travers la recherche de marqueurs de l’espace.

Par une approche interdisciplinaire entre anthropologie, géographie sociale, études du patrimoine6 et apports de l’histoire orale, l'exploration de ces questions permet de mettre en lumière les moyens par lesquels les peuples d’Afrique tentent aujourd'hui de donner un nouveau sens aux espaces hérités de la colonisation.

Ce travail de recherche se décline en cinq chapitres.

Le premier chapitre apporte des informations sur le cadre théorique à travers une revue de littératures sur le sujet et les concepts utilisés. Il présente également le contexte, la question

2

Ville historique de Grand-Bassam, présentation du bien : whc.UNESCO.org/fr/list/1322 3 Présentation des critères de l’UNESCO : whc.UNESCO.org/fr/criteres

4 Ville historique de Grand-Bassam, présentation du bien : whc.UNESCO.org/fr/list/132 5 Office National de Tourisme de Côte d’Ivoire : www.cotedivoiretourisme.ci/?page_id=4529 6

(12)

centrale de recherche et les interrogations connexes. Enfin il décrit la méthodologie employée sur le terrain.

Le second chapitre s’intéresse davantage au contexte et à l’histoire de Grand-Bassam afin d’aborder la question des éléments postulés comme préalables à l’appropriation symbolique du Quartier France.

Le troisième chapitre dresse le profil des deux grands groupes qui occupent le territoire de la ville historique. Il présente le premier type de marqueurs de l’espace et permet de souligner sa prégnance, selon les groupes. Dans chacun des groupes, des initiatives individuelles sont explorées à titre d'illustrations.

Le quatrième chapitre aborde la question du second marqueur qui concerne en particulier les N’zima à travers la célébration de la fête annuelle de l’Abissa. Après avoir présenté des informations sur l’histoire de la fête et son déroulement, il explique les impacts des différents changements qui lui ont été apportés.

(13)

CHAPITRE 1. CADRE THEORIQUE ET

METHODOLOGIE

1.1

CADRE THEORIQUE

1.1.1

L’

APPROPRIATION DE L

ESPACE

Dans ce travail, la question de l’appropriation se pose d’emblée. Qu’entend par appropriation de l’espace ? Et qu’est-ce qu’une « appropriation symbolique » de l’espace ?

Ce sont des disciplines telles que la philosophie, la sociologie et la psychologie qui se sont les premières intéressées à la question de l’appropriation de l’espace. Elles se sont en particulier interrogées sur les rapports qu’entretiennent les hommes avec leur lieu d’habitation ou l’« habiter » qui est la « conjonction entre un lieu et un individu singulier » (Ségaud 2012: 70). Des philosophes tels que Heidegger (1979) et Bachelard (1967) se sont respectivement intéressés à la poésie et la poétique de la vie quotidienne, c’est-à-dire aux émotions et rapports que l’homme entretient avec son habitat (Ségaud 2012: 70).

La psychologie quant à elle s’est intéressée à la notion de « chez soi », c’est-à-dire de l’appropriation d’un espace afin de le transformer en espace personnel. Certains psychologues se sont attachés à montrer comment l’espace devient constitutif de l’identité des individus (Prohansky 1978; Fischer 1989; Altman 1992) (Ségaud 2012: 70). D’autres se sont attardés sur les liens affectifs entre un lieu, tel que la chambre, et l’individu qui l’occupe (Barbey 1986) ou encore comment le « chez soi » constitue à la fois un espace d’identité et d’intimité (Serfaty 2003) (Ségaud, 2012: 70). Enfin, dès 1947, le sociologue Henri Lefèbvre dans La production de l’espace, s’intéresse à la sociologie de la quotidienneté et à l’inscription des individus et des sociétés dans l’espace.

(14)

En 2004, lors d’un colloque organisé à Rennes, les chercheurs de l’école de géographie sociale française ont tenté d'analyser l’état du courant dans un contexte où il essuyait d’importantes critiques (Séchet, Veschambre 2006: 19). C’est lors de ce colloque que Ripoll et Veschambre font part de leur constat selon lequel il existe très peu de travaux sur la question de l’appropriation de l’espace. Pourtant, ils estiment qu’elle doit « nécessairement se trouver sur le chemin de tout géographe qui interroge ce que l’on appelle généralement les rapports espaces/sociétés… » (2006: 295). C’est pourquoi, à travers leur intervention, ils posent les bases d’un nouveau courant qui selon eux fait de cette problématique un élément central de la discipline, en proposant un ensemble d’informations et de définitions de concepts.

1.1.2

L’

APPROPRIATION SYMBOLIQUE DE L

ESPACE

La géographie sociale étudie donc les pratiques de l’espace - le matériel - et les représentations de l’espace - l’idéel. Au-delà du matériel qui s’intéresse à la réalité de l’espace ou à sa matérialité, l’intérêt pour l’idéel permet de prendre en compte « les représentations que s’en font les acteurs ou les agents sociaux » (Di Méo, Buléon 2005: 131). Ainsi : « parler de l’idéel revient à se référer à la pensée humaine, c’est-à-dire aux images et aux représentations qu’elle produit » (Paulet, 2002 cité dans Di Méo, Buléon 2004: 108).

Durant le colloque de Rennes de 2004, Ripoll et Veschambre ont exploré cette dialectique du matériel et de l’idéel qui se retrouve dans la question de l’appropriation de l’espace afin d’apporter des bases théoriques solides à ce thème de recherche. D’abord, ils expliquent que pour appréhender l’appropriation de l’espace, la propriété juridique est « incontournable mais insuffisante » (2006: 297). Ils s’appuient sur les travaux de Bergel (2005) pour montrer que « si la propriété et plus largement les formes juridiques sont importantes, l’appropriation ne s’y réduit pas : il y a des décalages entre propriété du sol stricto sensu, qui ne garantit pas l’appropriation affective d’un espace, et appropriation de l’espace qui peut se passer d’une garantie juridique » (Ripoll, Veschambre 2006: 297). Ils précisent ensuite qu’afin de pouvoir appréhender pleinement la question, il faut tenir compte à la fois de modalités d’appropriation à dominante matérielle et de modalités d’appropriation à dominante idéelle (Ripoll, Veschambre 2006: 297).

Les modalités d’appropriation à dominante matérielle concernent les rapports concrets à l’espace. Les auteurs en proposent quatre ordres de signification.

(15)

La deuxième modalité est l’usage autonome qui correspond « au fait d’user de l’espace librement ou du moins sans contrainte sociale explicite » (Ripoll, Veschambre 2006: 298).

La troisième modalité est le détournement que les auteurs considèrent comme une situation intermédiaire. On peut parler de détournement lorsque « l’appropriation s’opère sur un espace déjà approprié et qu’elle en change la fonction ou la finalité » (Ripoll, Veschambre 2006: 298). En croisant les modalités de l’usage exclusif et de l’usage autonome dans le cadre d’un détournement, quatre situations différentes en découlent. L’une d’entre elles est la situation d’usage exclusif mais non autonome, dans le cas par exemple de l’occupation illégale d'un terrain : « des terrains occupés illégalement ont beau être entourés de barrières et appropriés par une famille pour son usage exclusif, ils peuvent à tout moment faire l’objet d’une expulsion (Fournier et al, 2005) (Ripoll, Veschambre 2006: 299). Ils expliquent qu’à l’inverse « des usages peuvent être autonomes sans être exclusifs : c’est ainsi que des lieux publics sont régulièrement utilisés par certains comme une ressource, malgré leur caractère public (commerce, jeux, loisirs) sans qu’ils se réservent cet usage en l’interdisant aux autres » (Ripoll, Veschambre 2006: 299).

La quatrième modalité à dominante matérielle est le contrôle de l’espace. Dans ce cas « il s’agit plutôt de pouvoir, de domination, exercés par des appareils ou institutions, par exemple un État sur son territoire » (Ripoll, Veschambre 2006: 299). Les auteurs proposent comme exemple, celui des interdictions de pratiquer un espace pouvant émaner des autorités qui a alors recourt à la police pour empêcher l’accès à des bâtiments importants lorsque des manifestations ont lieu à proximité.

Les auteurs proposent ensuite des modalités d’appropriation à dominante idéelle. Il y a d'abord l’apprentissage et la familiarisation qui sont conçus comme une intériorisation cognitive : « s’approprier un espace veut dire ici acquérir des connaissances théoriques et pratiques, des savoirs et savoir-faire qui permettent de s’y mouvoir sans s’y perdre, mais aussi d’en user de façon pertinente ou stratégique » (Ripoll, Veschambre 2006: 299).

Les auteurs proposent ensuite « l’attachement affectif ou plus profondément encore, ce que l’on pourrait appeler appropriation " existentielle ". Il s’agit du sentiment de se sentir à sa place, voire chez soi, quelque part. Ce sentiment d’appropriation se transforme alors en sentiment d’appartenance. Le rapport aux lieux est vécu comme réciproque : un lieu est à nous parce qu’on est à lui, il fait partie de nous parce que nous faisons partie de lui ». En ce sens les travaux sur les démolitions et expropriations (Cavaillé 1999 ; Davodeau 2001) permettent de révéler cette forme d’appropriation existentielle (Ripoll, Veschambre 2006: 299).

(16)

que la catégorisation est large et peut concerner aussi la nationalité, la religion, l’âge, le courant politique ou encore le genre.

Mais comment exprime-t-on une appropriation symbolique de l’espace ? Comment peut-on repérer un espace qui fait l’objet d’une telle appropriation ?

1.1.3

L

E MARQUAGE DE L

ESPACE

Pour répondre à ces questions, Ripoll et Veschambre expliquent que l’appropriation de l’espace s’exprime à travers la production d’un marquage sur ce dernier : « la production de signes, souvent destinés à exprimer une revendication d’appropriation dans un espace donné, et à éviter le recours permanent à la force, est fréquemment désignée par le terme de marquage » (2006: 301). Le marquage qui peut se définir comme « une production de signe(s) » (Ripoll 2006) » (Veschambre 2008: 9) est à la fois signifié et signifiant car il relève « du registre visuel (repères signalétiques, bornes, barrières, corps humains…) mais aussi auditif (manière de parler, musique…) (Ripoll 2006) » (Ripoll, Veschambre 2006: 301).

Selon eux, il n’y a pas d’appropriation sans marquage de l’espace et ce quel que soit le registre (matériel ou idéel) : « Nous pouvons faire l’hypothèse qu’il ne peut y avoir d’appropriation sans marquage de l’espace, que le marquage de l’espace accompagne toutes les formes d’appropriations, des plus symboliques aux plus matérielles et violentes » (Veschambre 2008: 10). L’auteur s’attarde précisément sur l’appropriation symbolique et son marquage. Il explique que l’appropriation symbolique est :

« une forme d’appropriation de l’espace qui suppose la production, l’usage de symboles

dotés d’une ‘efficacité sociale et politique’ (Debardieux, 2003), pour signifier que tel espace, tel lieu, tel objet est associé à un groupe, à une institution, à un pouvoir. Bien sûr, les modalités d’expression, de revendication, de légitimation d’une appropriation, qui s’inscrivent dans le registre symbolique sont également ancrées dans la matérialité des lieux » (2008: 7).

1.1.4

L

A PRODUCTION D

UN MARQUAGE

(17)

Dans le registre de la temporalité : « la trace renvoie plutôt à ce qui subsiste du passé » tandis que « la marque s’inscrit plutôt dans le présent » (2008: 10). La trace concerne l’histoire et la mémoire et elle témoigne de ce qui a été. La marque évoque une action réalisée dans le présent et qui n’est pas toujours conçue pour durer (Veschambre 2008: 10).

Quant au registre de l’intentionnalité, l’auteur explique que la trace n’est pas forcément intentionnelle, on ne peut donc pas toujours la considérer comme une signature. Toutefois, il en est tout autre pour la marque qui selon lui « fonctionne comme signature intentionnelle : elle est pensée et produite pour rendre visible une personne, un groupe, une institution, pour constituer le support d’une identification (individuelle ou plus généralement collective), et pour représenter au final un attribut de l’acteur ou du groupe en question » (Veschambre 2008: 10)

1.1.5

L

ES DIFFERENTES NATURES DU MARQUAGE

Le marquage est donc l’aspect le plus perceptible de l’appropriation et peut s’exprimer de plusieurs façons. Il se rapporte tout d’abord à la sphère visuelle à travers, par exemple, le changement de nom d’un lieu ou d’une rue. L’action de nommer ou de renommer un espace peut être considérée comme le moyen le plus puissant de se l’approprier, c’est « un acte d’appropriation, peut-être le premier » (Veschambre 2008: 44). De la même manière, donner un nouvel usage à un bâtiment en le détournant de son usage initial peut être considéré comme un marquage (Marschall 2005). Veschambre quant-à-lui distingue principalement deux actions matérielles qui permettent un processus de marquage.

La première est le marquage considéré comme trace. Il s’exprime « à travers la fabrication, la réutilisation (voire la destruction) de repères signifiants (bornes, barrières, pancartes, graffitis, sculptures, monuments…) qui s’inscrivent plus ou moins dans la durée et laissent une trace (Veschambre 2004: 73). Dans son intervention avec Ripoll, Veschambre ajoute que « l’appropriation symbolique/identitaire d’un lieu suppose sa pratique concrète, régulière et démonstrative » (2006: 301). Ainsi une « trace » peut également s’exprimer à travers la pratique et l’usage quotidien de l’espace en question (Ripoll, Veschambre 2006: 300).

Enfin, la seconde action est le marquage considéré comme présence qui s’exprime « à travers la présence des corps et des signes dont sont porteurs (habits, pancartes…) lors d’évènements récurrents (manifestations, défilés, fêtes…) ou exceptionnels, qui " marquent " les esprits et associent un lieu à des groupes sociaux ou à des institutions qui s’y mettent en scène ». (Veschambre 2004: 73).

(18)

1.1.6

L

E MARQUAGE ET L

IDENTITE

Il n'est pas possible de parler de marquage sans faire mention de sa dimension profondément identitaire. Ripoll et Veschambre se réfèrent d’ailleurs à l’appropriation symbolique de l’espace en tant qu’appropriation identitaire. En effet, pourquoi procéder à un marquage de l’espace si ce n’est pour affirmer sa présence, un droit de regard, voire un contrôle de l’espace ?

L’espace se transforme alors en enjeu à des fins identitaires. Identitaire peut être entendu ici dans son acception large, c’est-à-dire comme des catégorisations de types d’identité telles que la nationalité, la religion, l’âge, etc. (Ripoll, Veschambre 2006: 300). Selon Veschambre, le marquage « représente tout d’abord une forme de la matérialisation de l’identité, à la fois individuelle et collective ». Pour l’expliquer, il s’appuie sur le travail de Cavaillé (1999). Dans son étude sur l’expropriation, la géographe s’est intéressée à l’identité territoriale en expliquant le processus d’identification des individus à leur espace qu’ils marquent et s’approprient à travers la projection de leurs goûts, leurs valeurs, etc. Veschambre se réfère à cette idée de projection qui permet « un balancement permanent entre l’individu et le collectif » (Veschambre 2004: 74). Il ajoute que « les identités collectives se projettent, se matérialisent, se construisent et se reproduisent dans la dimension spatiale, à travers les différents marqueurs de l’appropriation de l’espace » (Veschambre 2004:74). Il propose également l’exemple des monuments qui peuvent être considérés comme un marquage identitaire en raison du souvenir qu’ils convoquent et qu’ils renvoient à la société qui l’a produit. L’architecture et l’urbanisme constituent aussi un moyen de marquer l’espace. Le marquage est donc indispensable à l’expression et l’inscription spatiale d’une identité afin d’affirmer voire de légitimer sa présence. L’auteur explique que « C’est la visibilité, l’existence sociale des groupes sociaux qui est en jeu à travers cette production de signes de reconnaissance et cette affirmation d’une légitimité dans l’espace » (Veschambre 2004: 74).

On ne peut faire mention des notions d’identité et de marquage sans évoquer également la question de l’espace ou du territoire auquel elle s’attache. De Biase et Rossi expliquent ainsi que « toute construction identitaire, qu’elle soit nationale, religieuse, culturelle ou ethnique, a besoin dans un certain sens, de trouver des repères spatiaux auxquels se référer » (2006: 23). Les groupes développent donc une relation particulière avec leur territoire qu’ils tentent de " marquer ". Les auteurs proposent la définition suivante du territoire :

« " Territoire " est un vieux mot ordinaire, qui tend à prendre vigueur et signification. Il a un

sens banal et un sens fort. Au premier, c’est seulement une portion quelconque de l’espace terrestre, en général délimitée […]. En un sens plus riche, que la biologie animale a contribué à affermir, il contient une idée d’appropriation, d’appartenance, ou au minimum d’usage » (De Biase et Rossi: 22).

(19)

sens à ces traces de l’histoire. En ce sens, la mise en patrimoine d’un espace, ou sa patrimonialisation, ne constitue-t-elle pas un marquage de l’espace ?

1.1.7

L

A NOTION DE PATRIMOINE

Le terme " patrimoine " du latin Patrimoniu est composé de pacter (père) et de munus (devoir). Il indique « le devoir d’un père de soutenir et de léguer à ses enfants les moyens de perpétuer la vie » (Ardesi 2011 : 213).

Veschambre explique que c’est au début des années 1980 que le mot " patrimoine " a commencé à se diffuser largement dans la société et ce dans un sens qui n’est plus celui des juristes ou des gestionnaires, supplantant alors la notion de monument historique héritée du XIXème siècle (2008: 20). En effet, dans L’allégorie du patrimoine, Choay affirme ceci en parlant du patrimoine :

« Ce beau et très ancien mot, était, à l’origine, lié aux structures familiales, économiques et

juridiques d’une société stable, enracinée dans l’espace et le temps. Requalifiés par divers adjectifs (génétique, naturel, historique…) qui en ont fait un concept ‘nomade’, il poursuit aujourd’hui une carrière autre et retentissante » (Choay 1992:9).

Elle utilise le terme " concept nomade " pour désigner ce glissement sémantique de la notion de patrimoine vers d’autres objets, ce que certains auteurs qualifient d’« inflation patrimoniale » (Jeudy 2001; Heinich 2009) ou encore de « tout patrimoine » (Neyret 2004). Ainsi, si dans les années 1970 ce sont les architectes, urbanistes et historiens de l’art qui se sont intéressés à cette notion, elle se retrouve aujourd’hui dans de nombreuses disciplines telles que l’économie, l’histoire, l’anthropologie ou encore la géographie.

Le Dictionnaire de géographie et de l’espace des sociétés définit le patrimoine comme « ce qui est censé mériter d’être transmis du passé, pour trouver une valeur dans le présent » (Lussault, Lévy 2013: 748). Au Dictionnaire de géographie d'ajouter : « Le terme patrimoine désigne un héritage matériel ou immatériel qui est perçu par une société comme devant être transmis aux générations ultérieures. Il s’agit donc d’une construction sociale qui intéresse à la fois le champ de la géographie culturelle et la géographie sociale » (Baud, Bourgeat, Bras 2013: 514).

1.1.8

L

E PROCESSUS DE PATRIMONIALISATION

Selon Hoelscher, le patrimoine est un « mode de production culturelle dans le présent qui a recourt au passé »7 (2007: 200) et qui se déploie avec des stratégies. Pour sa part, Veschambre

7

(20)

explique qu’il s’agit d’un « processus de reconnaissance de traces, d’héritages, associés à une activité révolue » (2008: 22).

Les deux auteurs font apparaître la dimension d’évolution et de volonté nécessaire à l’octroi du statut de patrimoine. En effet, le patrimoine est le résultat d’une volonté commune et d’un processus plus ou moins long qui revêt des aspects socio-culturels, institutionnels et économiques que l’on peut désigner par " patrimonialisation ". Selon Di Méo, l’acquisition du titre de patrimoine à travers un processus de patrimonialisation est le résultat de « l’intervention volontariste d’acteur et d’actants » (Di Méo 2007: 10). Cette acquisition se décline en quatre étapes : la prise de conscience patrimoniale, les jeux d’acteurs et contexte, la sélection et la justification patrimoniale et enfin la conservation, l’exposition et la valorisation des patrimoines (Di Méo 2007: 10-14).

La patrimonialisation comme marquage de l’espace

En géographie sociale, le patrimoine et la patrimonialisation font l’objet d’une attention particulière dans la problématique de l’appropriation de l’espace. Selon Rautenberg, le patrimoine est « du côté du signe, de l’emblème, de la référence symbolique » (2003: 114). Par ailleurs, Veschambre explique que :

« En tant que traces réinvesties, en tant qu’héritages réappropriés, nous faisons l’hypothèse

que la patrimoine constitue un support matériel privilégié de la revendication identitaire et mémorielle. […]À partir du moment où un groupe, une institution, exprime sa volonté de l’ériger en patrimoine, nous verrons que la trace est revalorisée et change de nature. L’enjeu de la patrimonialisation est celui du passage de la trace à la marque, avec les notions d’intentionnalité de distinction statutaire qui y sont associés » (2008: 22).

La patrimonialisation peut donc être considérée comme « une production de marques et/ou réinvestissement de traces» (Veschambre 2008: 11). Elle s’attache toujours à un territoire bien précis. Comme le fait valoir Norois, l’enjeu patrimonial est celui de la (ré)appropriation d’espaces désaffectés (Norois 2000 cité dans Veschambre 2009: 140). Pour Veschambre, la patrimonialisation représente « un enjeu de mémoire, de réappropriation par des groupes qui se considèrent comme héritiers » (2004: 76). Elle peut être l’occasion d’affirmer la présence et la mémoire de groupes sociaux dominés (Veschambre 2004: 75). Dans ce cas précis, la patrimonialisation peut être considérée comme une forme de marquage de l’espace par le groupe social qui l’a soutenu et comme un support d’une appropriation de l’espace. L’auteur explique :

« Faire reconnaître un patrimoine consiste en effet à réinjecter du sens dans un édificie qui

(21)

(association, élus…), par l’intervention matérielle (marquage trace) qui transforme généralement l’édifice suite à sa reconnaissance (réhabilitation) » (Veschambre 2004: 75).

La patrimonialisation comme une innovation dans le processus

d’appropriation symbolique de l’espace

La mobilisation patrimoniale peut être considérée comme un marquage de l’espace tandis que la patrimonialisation est un support de l’appropriation de l’espace. Toutefois, malgré la mobilisation qu’elle peut engendrer, la patrimonialisation demeure une démarche institutionnelle. Elle peut donc, dans certains cas, être impulsée par des élus ou des organisations sans une véritable mobilisation de la part de la population. Dans ce cas, on peut parler d’une patrimonialisation initiée par le haut. Lorsqu’il s’ensuit une prise de conscience patrimoniale au sein de la population, uniquement quand la patrimonialisation est déjà effective, ne peut-on pas considérer la patrimonialisation comme une innovation dans le processus d’appropriation symbolique de l’espace ?

Gewald, Leliveld et Pesa affirment qu’une innovation peut être entendue comme un « processus d’invention, d’adoption, d’adaptation, d’appropriation ou de transformation »8 (2012: 4) qui dépend des interactions mutuelles et d’interdépendances entre les habitudes individuelles et les institutions (Gewald, Leliveld, Pesa 2012: 4). Ils ajoutent que « différents groupes sociaux au sein d’une société, s’approprient, transforment les innovations de différentes manières dans la mesure où il n’y a pas de manière linéaire de s’approprier une innovation »9 (Gewald, Leliveld, Pesa 2012: 4).

1.1.9

L

A MISE EN PATRIMOINE D

ESPACES HERITES DE LA COLONISATION

Selon Veschambre, l’architecture et l’urbanisme constituent des formes de marquage de l’espace. Il explique notamment que « le marquage architectural nous renvoie nettement du côté du pouvoir » (2004: 75). À travers le processus de colonisation, les colons ont eu recours à diverses formes de marquage de l’espace. L’architecture en a constitué la forme la plus saillante, et ce d’autant plus que dans de nombreuses régions du monde elle constitue aujourd’hui une trace de leur passage.

Le nouvelliste kenyan Ngũgĩ wa Thiong’o soutient que les bâtiments et monuments érigés sous la colonisation ont été « les objets culturels utilisés par le colonisateur pour dominer et asservir les colonisés »10 (Larsen, 2013 :11) car « le pouvoir à travers la subjugation culturelle

8 Traduction littérale de l’anglais 9 Traduction littérale de l’anglais 10

(22)

était le principal outil du colonialisme »11 (Ibid.: 11). Selon Bourdieu : « l’espace est un des lieux où le pouvoir s’affirme et s’exerce, et sans doute sous la forme la plus subtile, celle de la violence symbolique, comme violence inaperçue» (Bourdieu 1993, cité dans Veschambre 2004: 77). En ce sens, l’espace colonial exprime la dimension spatiale de la violence symbolique, dans le sens entendu par Bourdieu, car son caractère socialement arbitraire n’étant plus perçu, le recours permanent à la force pour imposer le pouvoir n’était plus nécessaire (Bourdieu 1993, cité dans Veschambre 2004: 74).

Si la patrimonialisation représente « un enjeu de mémoire, de réappropriation par des groupes qui se considèrent comme héritiers » à travers la production de traces pouvant légitimer une (ré)appropriation identitaires par des populations dominés (Veschambre 2004:76), il y a matière à s’interroger quant à ce qui peut motiver une mise en patrimoine d’espaces hérités de la colonisation par des populations qui furent dominés. Comment peut-on se sentir héritier d’un espace " étranger " qui a longtemps constitué le symbole et la matérialité du pouvoir colonial ? Par quels mécanismes les populations concernées doivent-elles passer ? Qu’est ce qui facilite la mise en patrimoine de ces espaces ?

En effet, Eloundou explique que « le patrimoine architectural et urbanistique issu du mouvement moderne en Afrique subsaharienne est de fait assimilé au patrimoine colonial, d’où résultent aujourd’hui les difficultés pour son acceptation et sa compréhension par les populations africaines » (2005: 2). Dans Enjeux Culturels et politiques de la mise en patrimoine des espaces coloniaux, Alain Sinou propose quelques pistes de réflexion quant aux mécanismes qui peuvent permettre l’appropriation d’objets " étrangers ", tels que les espaces hérités de la colonisation, par les populations d’Afrique subsaharienne. Pour cela, les mécanismes diffèrent complètement de ceux mis en œuvre par les occidentaux pour s’approprier un objet patrimonialisé. L’auteur explique que :

« L’intensité de la production patrimoniale et l’adhésion populaire qu’elle peut aujourd’hui

susciter dans le monde occidental est expliquée, au-delà des enjeux économiques et touristiques, par le sentiment d’appropriation qui s’élabore à cette occasion, grâce à l’identification positive suscitée par la contemplation de l’objet mis en patrimoine » (Sinou

2005: 20).

L’auteur donne en exemple celui des châteaux qui, grâce à des politiques de nationalisation et d’ouverture au public, ont perdu les fonctions et l’image qu’ils incarnaient dans le passé, si bien que les populations s’en sentent aujourd’hui héritières. Les actions de l’État ont permis une « rupture symbolique » nécessaire car pour que l’observateur adhère à l’objet patrimonial, il doit se situer « dans un autre temps présent » et élaborer « un rapport distancié avec la notion du passé » (Sinou 2005 : 20).

En l’Afrique de l’Ouest, où l’on retrouve un important patrimoine bâti hérité de la colonisation, cette capacité de distanciation prévaut également. Toutefois, dans ce cas précis, la

11

(23)

distanciation interroge à la fois la temporalité ainsi que les cadres sociaux et politiques nécessaire pour susciter une appropriation. Sinou affirme en effet que les africains dans leur ensemble doivent développer des dynamiques différentes pour s’approprier ces espaces. Toutefois, au sein d’un même pays, les rapports plus ou moins conflictuels avec ces héritages diffèrent selon le groupe d’appartenance, le niveau d’éducation ou l’expérience des populations concernées.

L'auteur explique qu’au sortir de l’indépendance, les sociétés africaines étaient d’abord « agacées » par l’intérêt que les « Blancs » portaient à ces bâtiments qu’elles considéraient comme des « vieilleries » (Sinou 2005: 15). Pourtant, dans les années 1990, de nouveaux facteurs changent le rapport à ces espaces. Il s’agit d’abord de l’intérêt grandissant suscité chez les historiens et archéologues africains, puis de l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération d’hommes ayant peu ou pas connu la colonisation et « capables, voire désireux, de se réapproprier une part d’un passé qui s’éloigne » et enfin du développement du tourisme international. Ces trois élément permettent d’encourager une approche patrimoniale (Sinou 2005: 15) et par extension de provoquer un processus d’appropriation.

Toutefois, au-delà de la rupture symbolique nécessaire pour s’approprier le patrimoine colonial, l’auteur insiste sur la nécessité pour les populations africaines de s’ériger en acteur du changement de perception, en tant que sujet de cette transformation sociale plutôt qu’en tant qu'objet (Sinou 2005: 26-27). De cette façon, elles peuvent créer un sentiment identificatoire et établir un autre type de relation à l’histoire dans le but de déterminer le nouveau sens et les nouvelles valeurs que véhiculent ces objets (Sinou 2005). Il souligne également que bien que la considération d’une approche patrimoniale témoigne du nouveau rapport que les individus qui les ont initiés portent à ces objets, « cette production (patrimoniale) n’intéresse qu’une très petite minorité d’habitants composée principalement d’intellectuels, la plupart des africains ne pouvant se projeter dans cet héritage historique ambigu » (Sinou 2005: 25).

Qu’en est-il des habitants de la Commune de Grand-Bassam dans leur ensemble? Et plus particulièrement pour ceux qui vivent près de ces bâtiments coloniaux ? Quels sont les différents groupes présents sur ce territoire ?

1.1.10

L

ES PEUPLES DE

G

RAND

-B

ASSAM

Les N’zima

Le territoire de la ville historique de Grand-Bassam abrite un village peuplé de N’zima kôtôkô appelés dans le passé Assoyam ou Ehuanti. Aujourd’hui on parle du village N’zima. C’est une perspective émique qui est utilisée ici comme dans l'ensemble du travail de recherche.

(24)

des guerres fratricides qui secouaient le " pays " N’zima. Deux groupes de N’zima se sont installés en Côte d'Ivoire. Le premier est le groupe des N’zima kôtôkô, le plus important en terme de population, que l’on retrouve depuis Assinie jusqu’à Grand-Lahou, en passant par Grand-Bassam. Le second groupe est celui des N’zima dits Adouvlè, installés dans le village de Tiapoum, considéré comme leur capitale. Il existe trois royaumes autonomes N’zima en Côte d’Ivoire, celui de Grand-Bassam, d’Assinie et de Tiapoum (Association Abissa 2013: 8).

Les N’zima de Grand-Bassam se seraient installés dans la Commune depuis le XVème siècle (Association Abissa 2013: 42). Ils ont pour capitale le village N’zima qui est situé sur le territoire de la ville historique de Grand-Bassam, l'objet d'étude de ce travail. Il faut ici entendre la capitale comme le siège de la royauté traditionnelle.

Les N’zima dans leur ensemble, sont plus connus sous le nom d’Appoloniens ou Appolos. Certains affirment que les " Blancs" les ont appelés ainsi en raison de leur beauté frappante, en référence au dieu grec Apollon. Toutefois, d’autres sources expliquent qu’en fait « le nom d'Apolloniens, sous lequel ils sont aussi connus, vient des Portugais, qui baptisèrent Apollonie la terre sur laquelle ils débarquèrent le jour de la fête de Sainte-Apolline (7 février) » (Paulme 1970, 189).

Tout comme de nombreux peuples Akan, le peuple N’zima est composé de sept familles ou matriclans : N'djuaffou, Ezohilé, N'vavilé, Mafoulé, Azanhoulé, Allonhômba et Adahoulin. Chez les N’zima kôtôkô de Bassam, le roi est toujours issue de la famille des Allonhômba. Toutefois il n’existe pas de hiérarchie parmi les familles qui ont toute leur importance dans la formation de la société N’zima. La tradition orale relate comment, par le passé, chacune des familles a rapporté des éléments importants pour la société, à savoir : le sel, le riz, l'igname, l’eau, le maïs, le feu, l’or, le raphia et la graine de palme. Ces éléments constituent les attributs de leur famille respective. Celles-ci célèbrent ces éléments durant la fête de l’Abissa.

L’Abissa

Selon Owusu-Frempong il existe chez les peuples Akan de nombreux festivals dont les origines et les fonctions viennent le plus souvent de la religion traditionnelle et qui rythment la vie des communautés(2005: 733). L’auteur mentionne d’abord les rituels ou cérémonies tels que ceux où les enfants reçoivent leur nom, ceux pour célébrer la puberté, l’initiation de passage à l’âge adulte, les mariages ou encore les décès qui, bien souvent, ne concernent que le cercle familial ou le matriclan. Il mentionne ensuite les évènements plus importants encore que sont les festivals annuels et saisonniers qui réunissent tout le peuple en ville ou au village. « Ce sont des périodes où l’on se réunit pour chanter, danser, manger et célébrer un moment particulier de la vie »12 (Owusu-Frempong 2005: 731-732). L’Abissa peut être considérée comme l’un d’entre eux.

Il faut ici entendre le mot festival selon la définition proposée par Stoeltje, à savoir « une expression culturelle ancienne et résiliente dont l’organisation et les fonctions varient selon les

12

(25)

sociétés » 13(1992: 261). C’est une performance culturelle qui est programmée à intervalles fixes, temporellement et spatialement liée à un espace, caractérisée par des évènements publics coordonnés et d’importantes occasions d’expressions esthétiques (Stoeltje 1992: 261). Les festivals sont des phénomènes ayant un but collectif et dont l’usage est ancré dans la vie du groupe (Sloeltje 1992: 261). L’auteur ajoute que l’un de leurs aspects les plus importants est l’expression de l’identité du groupe à travers les hommages rendus aux ancêtres ou des commémorations, des performances de grandes valeurs, ou l’articulation de l’héritage du groupe (Sloeltje 1992 :261). Elle précise que leur nom contient rarement le terme festival et que les évènements qui le comprennent aujourd’hui sont des constructions modernes contemporaines qui emploient les caractéristiques des festivals à des fins commerciales, idéologiques ou politiques (Sloeltje 1992: 262).

Tous les ans à la fin du mois d'octobre, les N’zima célèbrent l’Abissa qu'ils considèrent comme la nouvelle année. Ils la décrivent comme une fête de réjouissance et de critique sociale (Abissa Grand-Bassam). Ils font l'éloge de leur origine au son du tam-tam sacré l’Edongbôlé. Elle est également pour eux l’occasion de se retrouver " en famille " dans leur capitale pour célébrer leur peuple, leurs matriclans respectifs et chasser le mauvais sort afin d’entamer de la meilleure manière la nouvelle année. En effet, l'évènement offre la possibilité de régler à la fois les différends personnels et les conflits avec la royauté, sans craintes de représailles. Les N’zima affirment que pendant l’Abissa tout est permis et personne ne peut se fâcher, au risque de voir un grand malheur lui arriver.

L’Abissa peut être considérée comme une recherche à part entière dans le travail sur l’appropriation symbolique. En effet, les fête et festivals font aujourd’hui l’objet d’études importantes dans des disciplines telles que le management des évènements, la communication ou encore le tourisme (Getz 2010: 3). Les historiens (De Jong 2009), anthropologues (Stoeltje 1992; van Binsbergen 1994) ou encore géographes (Claval 1995 ; Garat 2005 ; Di Méo 2005) s’intéressent eux aussi à la fête.

Dans le cadre de la géographie sociale, Di Méo explique que les chercheurs « ont étudié leur fonction régulatrice des systèmes socio-spatiaux Ils ont également mis en évidence la façon dont les fêtes exaltent une identité sociale plongeant ses racines dans l’histoire plus ou moins mythique des lieux […] (2001: 624). L’auteur présente ensuite les différents attributs de la fête. Elle peut jouer un rôle symbolique, politique, avoir une portée idéologique, une valeur d’échange socio-économique ou encore faire l’objet d’une instrumentalisation en matière de régulation sociale et territoriale (Di Méo 2001: 625).

Dans ce travail, la recherche sur l’Abissa permet d’explorer, par-delà son rôle politique important pour la société N’zima, son rôle symbolique. Il s'agit de savoir si la fête affecte l’inscription symbolique des N’zima sur le territoire de Grand-Bassam et si elle peut être considérée comme un marquage de l’espace. En effet, d'après Di Méo :

13

(26)

« La fête possède en effet la capacité de produire des symboles territoriaux dont l’usage

social se prolonge bien au-delà de son déroulement. Cette symbolique festive épouse et qualifie des lieux des sites et des paysages des monuments ou de simples édifices. Elle les associe dans un même schème de significations identitaire » (2001: 625).

L’Abissa a fait l’objet de quelques recherches. Pour Dreyfus (1899), elle s'apparente aux saturnales, ces fêtes de l'Antiquité romaine qui célébraient le renouveau du solstice d’hiver et durant lesquelles le peuple invoquait Saturne, le dieu des semailles et de la fertilité. Elles donnaient lieu à des carnavals et à des inversions de rôles durant lesquels les esclaves jouissaient d’une liberté temporaire. Balandier perçoit et présente l'Abissa comme un carnaval (1980) tandis que Niamkey-Koffi démontre qu'elle n'en est pas un (1976). Paulme la considère quant à elle comme un rituel (1980). C'est Agbroffi, un anthropologue ivoirien, qui a étudié l’Abissa dans sa thèse et qui détaille cette revue de littératures (Agbroffi 1997). Il analyse la fête des N'zima comme une « institution totale et totalisante » (Agbroffi, 1997 : 393) qui est devenue une institution politique et laïque suite aux changements volontaires apportés par la royauté N’zima, qui lui ont fait perdre sa dimension religieuse. Hormis l’article de Paulme publié en 1980, les travaux réalisés par les autres auteurs présentés par Agbroffi ne sont pas accessibles.

Les Abouré êhê de Moossou

La Commune de Grand-Bassam abrite également le peuple Abouré êhê. Les Abouré et les N’zima ne peuvent être mentionnés l'un sans l’autre pour deux raisons : ce sont les deux peuples autochtones de la Commune, et surtout ils se définissent en opposition l’un par rapport à l’autre en raison de leur mésentente sur l’épineuse question de l’antériorité sur le territoire de Grand-Bassam et, par extension, la question de la propriété foncière. Les Abouré estiment que les terres de Grand-Bassam leurs appartiennent et ils pourraient donc en disposer comme ils le souhaitent. Ces dernières années, le roi des Abouré êhê a procédé à la vente de terres situées dans le village N’zima appelé Modeste, provoquant un regain de tensions et de méfiance entre les deux communautés.

(27)

1.2

L

A QUESTION DE RECHERCHE

Au regard de ces informations, la question de recherche à laquelle s'applique ce travail est la suivante :

Dans quelle mesure peut-on parler d’une appropriation symbolique du Quartier France de la ville historique de Grand-Bassam par ses habitants ?

Pour répondre à cette problématique, se posent les sous questions suivantes :

1. Quels ont été les préalables à l’appropriation symbolique du Quartier France de Grand-Bassam ?

2. Quels sont les différents groupes intervenant sur le territoire ? Comment leurs caractéristiques affectent-elles les possibilités et les types d’appropriation ?

3. Quels sont les différents marqueurs de l’appropriation symbolique ?

4. En quoi l’Abissa peut-elle être considérée comme un marqueur de l’appropriation de la ville historique de Grand-Bassam par les N’zima?

5. Dans quelle mesure peut-on considérer la patrimonialisation comme une innovation dans le processus d’appropriation symbolique de cet espace ?

1.3

P

RESENTATION DU TERRAIN

Cadre général

(28)

Carte 1 : Situation de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire

Source : Le petit futé Côte d’Ivoire, 2013

La Commune de Grand-Bassam (cf. Carte 2) rassemble les villages Éhotilés de Vitré 1 et 2, le village N’zima d’Azuretti, les villages Abouré de Ebra et Yaou et enfin la ville de Grand-Bassam.

Carte 2 : Composition de la Commune de Grand-Bassam

(29)

La ville de Grand-Bassam comprend les quartiers France, Impérial, Petit Paris et Moossou, ce dernier étant considéré comme la capitale des Abouré. Aujourd’hui des quartiers plus récents continuent d'apparaitre.

La ville historique de Grand-Bassam, aussi appelé Quartier France, comprend l’ancienne capitale coloniale et le village N’zima et se situe au sud de la Commune de Grand-Bassam.

Limites précises du terrain de recherche

Dans cette étude, la ville historique de Grand-Bassam constitue le principal terrain de recherche. Elle s'étend sur une superficie de quarante hectares (cf. Carte 3). Il s’agit de la partie principale qui est délimitée comme suit par l’UNESCO :

« La partie principale du bien forme une bande terrestre continue proche de 2,2 km de long

sur environ 400 mètres de large […] Cette partie urbaine correspond à la ville coloniale historique [Quartier France] et au village N’zima qui la prolonge, à l’est. Elle est limitée à l’ouest par le cimetière colonial, au sud par l’océan Atlantique et à l’est par l’ancien débouché maritime du fleuve Comoé, aujourd’hui en voie de comblement alluvionnaire. Elle est complétée au nord par une portion rectangulaire du lagon, au niveau du pont de la Victoire, jusqu’au quai du quartier continental du Petit-Paris, compris dans le bien »

(ICOMOS 2012: 6).

Le bien inscrit comprend également une seconde entité, à savoir le phare situé dans le quartier Petit Paris. En raison de sa situation hors de la ville historique, il n’a pas été considéré dans l’objet de la recherche.

Carte 3 : Délimitation de la ville historique et du phare (en rouge).

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Sa configuration vis-à-vis de la lagune et la mer rend la ville historique de Grand-Bassam naturellement séparée du reste de la commune. On y arrive principalement par le Pont de la Victoire mais reste accessible en longeant la côte depuis le village N’zima d’Azuretti qui se trouve dans la Commune de Grand-Bassam.

Deux autres espaces ne se situant pas dans les limites du terrain de recherche sont à mentionner car ayant été le lieu d'entretiens. Le premier est le village de Moossou où vit le peuple Abouré. Le second est la ville d’Abidjan où résident et travaillent des enseignants et chercheurs ayant étudiés sur la ville de Bassam ou les N’zima, ainsi que quelques N’zima originaires du village N’zima.

Description du terrain

À l’époque coloniale, le Quartier France était divisé en trois zones correspondant à une organisation fonctionnelle de l’espace : la zone résidentielle, la zone administrative et la zone commerciale. Le village N’zima se situe derrière la zone commerciale (cf. Carte 4, Photographies 1 et 2).

Aujourd’hui, la ville historique qui regroupe le Quartier France et le village N’zima « est subdivisée en quatre zones distinctes qui sont d’ouest en est : la zone résidentielle (1), le quartier administratif (2), le quartier commercial (3) et le village N’zima » (ICOMOS, 2012: 6).

Carte 4 : Les quatre zones de la ville historique de Grand-Bassam

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Photographie 1 : Vue aérienne du Quartier France

Source: whc.UNESCO.org

Photographie 2 : Vue aérienne du village N’zima

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Toutefois l’utilisation actuelle des bâtiments de la ville ne répond plus à une logique d’organisation fonctionnelle stricte. L’usage des différentes zones a évolué au fil de l’histoire : certains bâtiments ont été abandonnés après le transfert de la capitale14 et d’autres ont été réutilisés. Aussi on y retrouve un nombre important de bâtiments en ruine. Dans ce travail, est considéré comme bâtiment colonial tout bâtiment construit par l’administration française ou bâtiment s'étant inspiré du style colonial et construit par les populations européennes, africaines ou syro-libanaises pendant la période de la colonisation.

Le village N’zima est la zone la plus densément peuplée de l’ensemble de la ville historique. Une partie du village a connu des changements importants en raison de l’utilisation de matériaux de construction plus durables pour faire les « cours familiales ». Les maisons sont ainsi passées des feuilles de palmiers tressées au ciment et au bois.

Une cinquième zone peut également être ajoutée à cet ensemble, à savoir celle du village des pêcheurs ghanéens, Fanti pour la plupart, qui vivent en communauté derrière le village N’zima, face au littoral. Leurs maisons au toit en feuilles de palmiers tressés contrastent avec le village N’zima.

Ainsi, l’architecture et les populations qui occupent la ville historique d’ouest en est diffèrent.

1.4

B

REVE HISTOIRE DE

G

RAND

-B

ASSAM

L’origine du nom de Bassam ainsi que l’histoire de son peuplement initial et de son site sont sujets à de nombreux désaccords dans le milieu académique ivoirien. Certains affirment que les N’zima sont les premiers à avoir foulé la terre de Bassam, tandis que d’autres soutiennent qu’il s’agit des Abouré. Néanmoins, tous les chercheurs s’accordent à dire que N’zima et Abouré constituent les deux peuples autochtones de la Commune de Grand-Bassam. Tous deux sont issus du grand groupe des Akan, originaires du Ghana.

Selon la tradition orale Abouré, Bassam viendrait du mot Alsam, qui signifie « la nuit est venue », car ils désignaient ainsi le petit campement qu’ils auraient établi à la tombée de la nuit à l’embouchure du fleuve Comoé (République de Côte d’Ivoire, 2012 :32 ). Selon la tradition orale N’zima, Bassam viendrait de l’expression Bazouam qui signifie « aide-moi à porter ma charge » (Association Abissa, 2013 : 42). Les activités de colportage étaient en effet couramment pratiquées par les N'zima depuis le XVème siècle avec les vaisseaux marchands portugais puis hollandais, anglais et français qui accostaient près des côtes pour des échanges commerciaux (Association Abissa, 2013: 42). Très vite, la rivalité entre les puissances coloniales européennes a poussé les français à recourir à une politique de traités avec les chefs et rois « indigènes » et à l'installation de comptoirs en vue de renforcer leur présence sur le territoire. Le premier traité est signé le 19 février 1842 entre Alphonse Fleuriot de Langle et Charles-Phillipe de Kerhallet,

14

Figure

Tableau 1 : Profil des allogènes du Quatier France
Tableau 2 : Profil des personnes interrogées selon leur lieu de résidence  LIEU DE RESIDENCE

References

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